François Mayu, sculpteur, peintre, photographe à Paris.
www.francoismayu.com/
Présentez-nous votre travail en quelques mots.
- Je m'exprime sur la guerre 14-18, particulièrement sur le Chemin des Dames.
- Je glane sur le plateau des éclats d'obus en période de labour. La terre recrache toujours des débris métalliques. C'est la matière première de mes sculptures.
- Et d'un point de vue pictural, je peins mon ressenti, j'interprète la violence, l'inhumanité d'avril 17.
Il y a un côté réactif dans vos œuvres face à l'inhumanité de cette époque, comment réagissez-vous face à la chanson de Craonne?
- Je l'écoute assez souvent, elle est pour moi bien sûr très émouvante, c'est un témoignage emblématique de ce lieu, un symbole.
- Mais il y a des chansons qui m'émeuvent encore plus. J'écoute souvent le CD de Tichot, 14-18 une vie d'bonhomme. Il a mis en musique des textes de 14-18, c'est un très beau témoignage, un bel hommage sur la période.
Certains réagissent aussi en faisant de la bande dessinée comme Tardi.
On retrouve aussi la violence dans la peinture.
- Je suis très sensible au travail d'Otto Dix, le peintre expressionniste allemand. Il y a une telle force d'expression dans son œuvre. Je retrouve une autre force dans les œuvres de Mathurin Méheut.
Il y a aussi de beaux témoignages photographiques.
- Jean Richardot travaille sur les vestiges de 14-18, ce sont des panoramas d'aujourd'hui, de vestiges "digérés" par la cité. Jean nous montre combien la vie a repris le dessus.
On retrouve aussi des créations d'un point de vue cinématographique.
- Il y a beaucoup de belles choses, mais je suis particulièrement sensible à Johnny s'en va en guerre. Un jeune soldat est blessé par l'explosion d'un obus : sur son lit d'hôpital, il prend peu à peu conscience qu'il a été amputé des jambes et des bras. La tête entièrement bandée, il ne peut ni voir ni parler ; seulement entendre. Par des mouvements de tête il parvient peu à peu à communiquer en morse avec son infirmière qui fait preuve d'une grande empathie à son égard. On y voit aussi l'acharnement déraisonnable du médecin qui refuse de le laisser mourir, malgré ses demandes renouvelées. Ce film me touche particulièrement, et ce n'est pas un hasard car je fais de l'accompagnement en soin palliatif de personnes en fin de vie depuis plus de 11 ans.
La littérature est riche aussi en témoignage de l'époque.
- Oui, les œuvres historiques m'intéressent. L'histoire, la chronologie, l'interprétation me passionnent. Mais j'ai beaucoup d'émotion lorsque je parcours les carnets de guerres écrits par les soldats. Pour exemple, Les carnets de guerre de Louis Barthas ou des témoignages comme Orages d'acier de Ersnt Jünger en sont de beaux témoignages (vidéo sur la Grande Guerre).
- D'autres dessinent ; en quelques traits et quelques couleurs ils parviennent à retranscrire un moment, des émotions. C'est très fort.
Et vous, d'où vient cette sensibilité face à cette époque ?
- Je pense que tout remonte à mon enfance. Mes lectures, les témoignages photographiques et les archives cinématographiques m'ont marqué, ils m'ont laissé une trace indélébile. C'est pour cette raison que j'ai entrepris ce travail personnel.
- Le Chemin des Dames m'attire ; je ressens comme un magnétisme. J'ai besoin d'aller sur le terrain régulièrement, c'est un questionnement face à la monstruosité du conflit.
- Un jour j'ai fait ce rapprochement : mon père avait fait son service militaire dans l'artillerie et ma mère avait été infirmière... Ce n'est peut-être pas un hasard, les éclats d'obus et les soins palliatifs.
Et comment réagissez-vous face aux éclats d'obus (la matière première de vos sculptures) ?
- J'ai toujours une grande émotion. Ils sont un témoignage de violence, de mort. Lorsque je les manipule, je m'interroge toujours sur leur trajectoire destructrice.
- En même temps, je trouve sur le terrain des témoignages de vie. J'ai par exemple trouvé dans une creute un fragment de partition musicale écrit en gothique, qui a donc appartenu à un allemand. La souffrance était la même dans les deux camps. Ces témoignages de vie m'émeuvent particulièrement.
- Je suis incapable de faire des photos sur le terrain ; je ne sais pas pourquoi ; c'est mystérieux.
Les silhouettes que vous créez semblent apaisées, par votre démarche vous essayez à votre façon d'apaiser la douleur ?
- Peut-on parvenir à apaiser la douleur ?
- Au niveau de l'acte créatif, je pars de la matière brute et j'ai au fur et à mesure une émotion qui me gagne, il se passe quelque chose qui peut parfois complètement me bouleverser une fois la sculpture terminée.
- De l'utilisation de ces matériaux il m'est toujours apparu évident qu'une part de mon travail devait bénéficier à l'accompagnement de la vie ; ainsi 20% sont reversés à l'ASP fondatrice.
Un peu comme Baudelaire, du mal naissent les fleurs....
- Je ne vais pas me lancer des fleurs...Mais mon plus beau cadeau est la réaction des gens : leur sensibilité, l'émotion que mes sculptures peuvent parfois provoquer...
Il y a un petit air de Giacometti dans vos sculptures.
- Il y a le côté filaire qui peut rappeler Giacometti. Mais quand on regarde de plus près il n'y a rien d'autres. On retrouve le côté effilé un peu partout, dans l'art africain; ça remonte à longtemps.
- J'ai probablement été influencé, mais tout le monde influence tout le monde. Beaucoup de choses ont été faites dans l'art, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de choses nouvelles dans l'art aujourd'hui ; très peu d'œuvres actuelles me touchent vraiment.
Vous devez être un fervent défenseur de la non-violence.
- Je suis un non-violent convaincu, mais pas antimilitariste. Ce serait utopique. La violence est innée dans l'homme. Elle est liée à la nature humaine. Comme vous voyez, je n'ai pas une grande confiance en la nature humaine. La violence me fait peur.
Pourquoi est-ce important de commémorer à nouveau 14-18 ?
- C'est important de commémorer pour les descendants de 14-18.
- La commémoration doit aussi nous rappeler à tous la fragilité de la paix. Comment très rapidement ça peut devenir le cahot. L'Europe s'est tellement déchirée durant des siècles. Elle reste une construction très fragile selon moi. Il faut se remémorer, et espérer...
L'Europe est presque en paix depuis plus d'un demi siècle.
- Oui presque il y a eu le conflit en ex-Yougoslavie qui n'est toujours pas complètement résolu d'ailleurs. La paix en Europe est un trésor ; j'ai 58 ans et je fais partie de ces gens qui ont la chance de n'avoir jamais subi la guerre. Mais l'Europe reste très fragile, il ne faudrait pas grand chose pour que ça bascule. Je ne suis pas très optimiste, rien n'est jamais gagné.
Interview réalisée par Franck Taisset pour caleluna.
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