Luxe
Jean-Noël Marchandiau, historien, romancier.
Encore une nuit blanche, Jean Noël Marchandiau m'attend, je suis en retard. Il faut que mes neurones se remettent en place très rapidement. L'homme est ce que l'on appelle « une belle mécanique », doté d'un double doctorat d'histoire et de lettres et sciences humaines.
« J'ai failli partir » me dit-il, d'un ton franc.
Ca y est, l'on vient de m'adresser la pîqure salvatrice, la piqure réparatrice de la nuit.
Nous nous sommes réunis pour son roman J'avais 20 ans en Indochine.
Le thème de l'Indochine est très porteur en ce moment dans le milieu de l'édition. Cette période plaît, intéresse le lecteur.
Pour ma part, je suis beaucoup plus réservé, encore un livre sur L'Indochine, la guerre... Les bibliothèques de la ville de Paris en regorgent. Mais quel n'a pas été mon étonnement en lisant le roman.
J'avais 20 ans en Indochine est tout d'abord le regard d'un enfant, puis d'un jeune homme sur une époque, pas celui d'un vétéran.
L'enfant grandit et il se retrouve embarqué dans une guerre parce qu'il n'a pas le choix. L'homme de rang témoigne de son quotidien, ce ne sont pas les mots d'un général.
Le sans grade prend enfin la parole. Nous sommes loin du super héros, il s'agit de survivre avant tout. La boue, la soif, la peur, le doute sont au rendez-vous.
Le livre est aussi le témoignage d'un jeune homme qui connut la fin de la guerre, la défaite, la honte, la fin des colonies. L'armée française a été battue par un peuple de paysans. « Il faut dire que l'on ne tue pas les mouches avec un marteau. »
Il est aussi important de souligner la probité du roman. C'est un travail d'historien avant tout, une histoire réelle et documentée. Jean Noel Marchandiau est un universitaire à la recherche de la vérité. Toutes ses informations ont été vérifiées. Par exemple, les pluies diluviennes ont réellement eu lieu le jour ou elles sont écrites dans le roman.
La probité de l'histoire, voilà le sujet qui nous a intéressés autour du livre.
Jean-Noël Marchandiau m'a écouté avec beaucoup d'attention lorsque je lui ai parlé de mon expérience en Russie où Hitler et Napoléon incarnent le mal.
De ma honte d'être français sur les terres du tsar. On ne m'a donc pas dit toute la vérité à l'école?
J'ai été élevé en pleine guerre froide, le mal était à l'est," les rouges", comme l'on disait. Quelle n'a pas été pas été ma stupeur de constater lors de voyages, à Moscou, Prague, ou Budapest que les habitants de" l'est" sont des hommes comme vous et moi. Alors pourquoi m'avoir dit, m'avoir inculqué qu'ils représentaient le mal ? Jean Noël Marchandiau ne mâche pas ses mots, « tout cela est politique, et c'est toujours le peuple qui prend, comme pour le héros de mon livre. »
On a tous en tête le « Tres mayo », illustré dans la peinture de Goya. Le 3 mai est une fête nationale en Espagne. Fête contre qui ? Les français. Contre Napoléon, à nouveau... Les madrilènes, ce jour là sortent dans les rues avec la tête des français plantées symboliquement au bout de fourches et dansent. Pourquoi celui qui est pris comme un héros national dans mon pays est-il l'incarnation du diable dans les pays voisins ?
Jean Noël Marchandiau m'explique qu'il y a une histoire officielle, une histoire pour la nation. Une histoire que l'on embellit, une histoire qui gomme. Les écrivains de cette histoire ont toujours existé dès les Sumériens et les Égyptiens... L'histoire n'est donc pas la même selon le côté de la frontière où l'on se trouve. Le héros pour les uns est le despote pour les autres.
Pour ma part, il m'a fallu voyager pour comprendre cela, le voyage donne une relativité aux choses et permet aux gens de comprendre que nous sommes tous humains. « L'esprit de nuance » comme dit Marchiandau.
L'histoire officielle n'est vraiment pas la tasse de thé de Jean Noël Marchandiau, comme vous l'avez compris. Il a une autre idée de l'histoire, bien plus haute.
« L'histoire est avant tout une question, pas une réponse. »
L'histoire pour lui n'est pas au service d'une nation, mais l'histoire est un recueil de témoignages, de documents dont il faut dégager le vrai du faux, ne pas prendre parti, fixer la réalité des faits par leur tenant et leur aboutissant.
Mais à quoi sert l'histoire, vu qu'elle ne cesse de se répéter ?
« L'histoire n'a pas une vocation utilitaire en soi. L'histoire, c'est rétablir la vérité. »
Quelques suggestions de Jean-Noël Marchandiau
- Indochine. 1946 - 1962. chronique d'une guerre révolutionnaire de Bernard Fall.
- Raoul Salan : mémoires, tome 1 et 2.
- La 317e Section (1965).
Mais encore
- J'avais 20 ans en Indochine. Jean-Noël Marchandiau. Editions Prisma.
- En vente librairie, e-book sur www.editions-prisma.com
Interview réalisée par Franck Taisset pour caleluna.fr