Hervé Sancho, MOF boucher en 2007.
F.T : Comment es-tu devenu meilleur ouvrier de France en boucherie ?
- Hervé Sancho : J'ai fait peu d'études, j'ai passé un BEP de menuisier. Puis, mon père compagnon charcutier m'a mené vers la boucherie... J'ai passé un CFA en boucherie, et après c'est la curiosité, l'envie de faire mieux, de comprendre. Je dois la moitié de ma médaille à ma femme, j'ai dû me remettre en question totalement, me replonger dans les livres, piocher dans l'histoire avec un nez dans l'avenir. Josselin Lagleize (MOF) m'a mis le pied à l'étrier et a remis de l'ordre dans ma manière de travailler, j'ai pris à l'époque une grande claque. On n'a rien sans peine.
F.T : Comment se passe le Concours ?
- Herver Sancho : Il y a 50 jurés au Concours constitué d'une grande partie de MOF et de professionnels de la boucherie. Il faut réaliser 14 pièces en direct en seulement 10 heures. Tout est jugé, le travail en amont, la recherche d'éleveurs, la qualité de l'engraissement de la viande, l'affinage de la viande comme en fromagerie, la découpe...Il faut une moyenne de 18/20 sur le Concours pour être élu Meilleur Ouvrier de France; Ce qui est drôle c'est qu'en 2011, j'étais juré, donc de l'autre côté de la barrière. Cela a été très difficile pour moi, j'ai passé une nuit blanche la veille comme quand je concourais. J'ai retrouvé des gens avec qui j'avais passé le Concours, ça s'est passé avec beaucoup de courtoisie et d'empathie... Le Concours des Meilleurs Ouvriers de France représente aussi pour moi l'exposition des métiers, la convivialité, le partage, c'est aussi mon meilleur souvenir de bouche. Chacun vient avec ses produits, vous imaginez ce que ça peut donner en terme gustatif... l'omelette aux truffes de Michel Roth reste un très grand moment de gastronomie.
F.T : Comment trouver un bon boucher ?
- Hervé Sancho : Il faut discuter avec, aller à la rencontre du boucher. J'ai des clients qui m'écrivent, qui m'adressent des cadeaux, qui m'envoient des photos de la viande qu'ils ont cuite... Il faut avoir une relation simple et véritable avec son boucher. C'est la même chose avec les chefs de la région, ce sont maintenant des amis, ils viennent boire le café....
F.T : Comment trouver une bonne viande ?
- Hervé Sancho : Ca dépend de plein de choses : de la viande, de sa race, de son élevage, de sa nourriture, de son âge et du mûrissement. 24 heures après l'abattage, une viande est dure. Il faut donc laisser les enzymes détruire la viande, afin de la rendre tendre. Le gras de désagrège peu à peu, la viande perd aussi de son acidité et prend un goût beurré de noisette. La date d'abattage est donc un bon indicateur de la maturité ou non de la viande. Il faut plusieurs semaines pour faire mûrir la viande. L'ensilage par exemple ne permet pas aux viandes de vieillir, elle devient verte, acide...On ne fait pas le même métier que la Grande Distribution, son rôle est d'alimenter. Nous, nous sommes dans le plaisir, pas sur la quantité. Il ne faut pas oublier que lorsque l'on travaille en volume l'animal souffre. L'âge de l'animal est aussi important. A 7/8 ans l'animal est au « top » de son engraissement et donc de son goût. Il faut donc que le boucher connaisse bien l'éleveur, un travailleur de l'ombre primordial. L'éleveur réalise un travail de titan. Je ne travaille qu'avec des copains de la région en qui j'ai confiance. Cela fait vivre le tissu social de la région, entretient les pâturages, maintient le paysage. Cela permet aussi de transmettre aux jeunes notre savoir-faire franco français, le meilleur au monde. Je suis très sensible à la transmission, je m'occupe de jeunes, les prépare au Concours... C'est tout cela que nous appelons « le terroir » et que l'étranger nous envie tant.
F.T : Y a-t-il des saisons pour déguster de la viande comme pour le fromage ?
- Hervé Sancho : Bonne question, (hésitation) je dirai que oui. En été les animaux sont dehors, le bœuf se dépense plus que l'hiver, il est moins gras, et il mange l'herbe puissante de notre région, cela donne beaucoup de goût à la viande. En automne, il est assez difficile de trouver un agneau de qualité.
F.T : Y a-t-il des tendances en boucherie ?
- Hervé Sancho : Oui, les viandes étrangères ont bonne presse, le bœuf de Kobe à 250 euros le Kg, la Black Angus à 90 euros le Kg. Je ne vois pas l'intérêt d'aller chercher à l'étranger ce que l'on a en France. La blonde des Pyrénées est aussi bien! J'ai le même discours avec les labels, ce qui est important c'est de connaître avant tout un artisan boucher qui connaisse la viande et la sélectionne. Une bonne nouvelle tout de même, on revient vers le goût et le goût est donné par le gras... On entend aussi de plus en plus parler de cuisson à basse température, c'est plutôt bon signe...
F.T : Peut-on congeler la viande ?
- Hervé Sancho : Paul Boccuse disait : « on congèle de la merde, il sort de la merde. » Alors oui, mais des bons morceaux que l'on conserve au maximum 3 semaines, pas plus. Mais, je ne vois pas l'intérêt de congeler car c'est très compliqué, il faut tout d'abord congeler la viande, puis la sortir, la laisser décongeler au frigo pendant plusieurs heures, puis la sortir avant de la cuire pour qu'elle soit à température ambiante, on a plus vite fait d'aller chez son boucher... Et en plus une fois cuite, il faut la laisser reposer encore, pour le gigot le temps de repos après cuisson est égal au temps de cuisson...
F.T : Les bonnes adresses d'Hervé Sancho.
- J'aime les vins de la région, ceux de M. Brumont de Madiran sont excellents, c'est un homme simple, il est capable en plus de parler de viandes pendant des heures...
- Le golf de Bagnères de Bigorre où je joue régulièrement, une manière de me déconnecter facilement...
- L'Aragon à Julian, un hôtel restaurant comme je les aime.
- Le fromager Dominique Bouchait, meilleur ouvrier de France aussi (les fromagers du mont royal à Montrejeau).
Propos recueillis par Franck Taisset, pour caleluna.fr
Carte de visite
- Hervé Sancho, MOF boucher 2007.
- Boucherie des Deux Ponts, Bagnères-de-Bigorre.