Les Chemins du Sud, une théorie du mineur
A propos de
Proposée par Emmanuelle Luciani & Charlotte Cosson avec Southway studio qu'elles ont créé, l'exposition Les Chemins du Sud invite à une traversée de l'Histoire de l'art depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours. Celle-ci prend le contrepied de celle écrite entre Paris et New York au cours du XXe siècle. Elle retrace, sur la totalité des espaces d'expositions du Mrac mais aussi à l'Abbaye de Fontfroide, une généalogie d'artistes qui, refusant de s'insérer dans une veine révolutionnaire, ont embrassé le statut d'héritier. Les œuvres qui la composent ont été produites en dehors des capitales européennes et américaines, dans un sud envisagé de manière métaphorique. Ce sud est le lieu d'un pas de côté vis-à-vis de l'industrialisation et du progrès qui ont marqué la modernité. Les oeuvres produites dans ce cadre l'ont été de manière artisanale, en mettant en avant le décoratif, le coloré et, souvent, une grande humilité. Ces artistes incarnent une forme de résistance face à la distinction entre les arts dits mineurs et ceux dits majeurs, entre le peintre et le décorateur, entre l'artiste et l'artisan. Ils proposent l'idée d'une ornementation comme soin – dans son rapport à la nature, au monde et aux autres.
L'exposition Les Chemins du Sud émet l'hypothèse qu'une autre histoire de l'art de la modernité peut être écrite. Depuis quelques années, Emmanuelle Luciani & Charlotte Cosson rassemblent une communauté d'artistes avec lesquels elles produisent des œuvres issues de leur théorisation d'une nouvelle articulation entre centres et périphéries. La traversée alter-progressiste et non-industrielle proposée au Mrac met l'accent sur quatre moments distincts de cette histoire commencée au XIXe siècle : l'école de Marseille représentée par Théodore Jourdan et Adolphe Monticelli ; celui du tournant du XXe siècle avec William Morris, Odilon Redon, Gustave Fayet ou Raoul Dufy qui ont défendu l'artisanal et le beau contre une certaine idée de la modernité ; les artistes du mouvement Pattern & Decoration (Betty Woodman, Robert Kushner, Joyce Kozloff) qui, à partir des années 1970, ont embrassé les arts dits mineurs ; et en fin des artistes contemporains qui continuent à produire dans cette veine d'un art par et pour l'humain.
Ces artistes et leurs œuvres forment un idéal où l'humain prime sur la machine, les traditions vernaculaires sur la rentabilité, et l'ornement sur la froideur industrielle. A fin de souligner l'élan commun qui émane de cet état d'esprit, les œuvres de l'exposition ne sont jamais isolées. Un esprit collaboratif et d'entraide s'o ffre au travers d'une scénographie pensée comme œuvre d'art. Des pièces collectives et co-signées parsèment l'exposition ; les hommages et références abondent, d'une génération à une autre, d'un continent à un autre.
Ce système est rejoué au-delà des murs du musée et se prolonge à l'Abbaye de Fontfroide, propriété de la famille Gustave Fayet, artiste et mécène de la fin du XIXe siècle. Le projet se décline en miroir sur les deux lieux : au Mrac, des œuvres de Gustave Fayet et de son maître verrier Richard Burgsthal seront présentées ; à l'Abbaye, l'artiste italien Matteo Nasini intervient dans l'abbaye cistercienne et répond au cycle décoratif autour de Saint François d'Assise initié par Gustave Fayet.
Les sculptures, peintures, céramiques émaillées, meubles et vitraux présentés dans l'exposition découlent d'une pensée située en dehors des mégalopoles : d'un idéal à la marge. Ceux qui les ont façonnés proviennent souvent de l'Europe latine ou des États chauds des États-Unis. Parfois, alors qu'ils n'y sont pas nés, ils ont rejoint ce sud en pensée ou en action. Car le Sud, même s'il peut-être appréhendé de manière métaphorique, repose sur une distinction plus historique que géographique encore. Le capitalisme et la modernité sont indissociables. Leur rapport commun au progrès, au futur et à l'automatisation est tout aussi indéniable. Cet idéal de pureté tranchait avec la culture plus charnelle des pays du sud. En marge des capitales qui se globalisaient à mesure qu'elles s'industrialisaient, des artistes et des penseurs ont produit de l'ornement et utilisé des matériaux non hygiéniques, a fin de prôner l'organique et la vie matérielle – en un mot : le vital.
Carte de visite
Jusqu'au 3 novembre 2019
MRAC